Bien que des Grands Prix aient été courus sur le continent européen depuis le début des années 1900, la Grande-Bretagne - comme ce fut le cas pour bien des sports - adopta un certain détachement dédaigneux à leur égard. Mais lorsqu'un pilote Britannique nommé Henry Segrave commença à se forger une place en remportant d'importantes victoires en France en 1923 et en Espagne l'année suivante, l'attitude de l'instance dirigeante changea et le Royal Automobile Club (RAC) décida d'organiser une course sur sol anglais.
Robert Benoist, au volant d'une Delage, pratique sa navigation des nouvelles chicanes mises en place pour le Grand Prix d'Angleterre inaugural
Getty Images
L'endroit choisi ne fut jamais mis en doute. Le circuit de Brooklands ouvrit à Weybridge en 1907, a peu près une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Londres, et devint immédiatement le premier circuit du pays. Son parcours incliné fut construit pour la vitesse et pouvait accueillir près d'un quart de million de spectateurs. L'événement fut fixé au 7 août 1926, une date insérée dans une saison européenne très active mais garantissant une foule importante puisqu'il s'agissait de la quatrième des cinq courses d'un jeune championnat mondial des constructeurs.
Les européens courraient habituellement sur des routes et furent donc méfiants à l'égard d'un circuit construit spécifiquement pour la course. Le RAC leur fit une concession en acceptant de fabriquer deux chicanes artificielles à l'aide de sacs de sable placés sur la ligne droite. Les prédictions à l'effet que cela ralentirait les voitures jusqu'à une vitesse de 25km/h furent inexactes.
Au début de juillet, le RAC avait reçu 13 inscriptions : huit de la Grande-Bretagne, cinq de la France, le grand absent étant Jules Goux, le pilote français ayant remporté les deux courses précédentes du championnat. La rareté des Bugatti, voiture dominante de la saison, fut une autre légère déception.
24 heures avant le début de la course, quatre des 13 inscrits se sont désistés, incluant la Talbot inscrite par Malcolm Campbell car il décida de rouler avec son second choix, une Bugatti.
Le journal Guardian rapporta des files d'attente se formant à l'entrée dès 8h le matin, six heures avant le départ. Selon le quotidien, il y eut "une foule exceptionnellement grande" et "tous les points d'observation où quiconque pouvait se placer étaient comblés de gens."
Les premiers tours fuent dominés, comme on pouvait s'y attendre, par les Delage et les Talbot, les plus lentes mais bien plus fiables Bugatti derrière. La Talbot de Jules Moriceau fut la première victime lorsque son essieu cassa avant qu'il puisse compléter un tour. En une douzaine de tours, les Delage de Robert Sénéchal et Robert Benoist furent si loin devant qu'il semblait que la vraie course se disputait pour la 3e place.
Segrave, le meilleur espoir britannique, fut plus rapide que ses rivaux mais souffrit d'un pneu éclaté et ensuite de problèmes de carburateur, ce qui l'empêcha de descendre sous la barre des 3000 tours/minute. Le Times rapporta que ses problèmes donnèrent "beaucoup de sensations aux non-initiés puisque son moteur eut des ratés à l'occasion, faisant ainsi une imitation assez proche d'une mitrailleuse, et lors de tels moments des flammes jaillissaient de son tuyau d'échappement."
Un arrêt aux puits fut gâché lorsqu'un écrou fut trouvé coincé dans son pare-brise : perte de temps précieux alors que ses mécanos tentèrent de comprendre d'où il venait. Il retourna en piste en dernière position et fut éventuellement forcé d'abandonner.
Le taux d'abandon des voitures fit en sorte qu'il n'en restait que quatre au début de la dernière heure - Sénéchal, Benoist, Campbell et le français Albert Divo.
Malcolm Campbell et sa Bugatti Type 39A avant la course
Getty Images
Sénéchal échangea alors avec son compatriote Louis Wagner, dont la course se termina après dix tours lorsque le moteur de sa Delage explosa et brûla gravement sa jambe. Il hérita non seulement d'une voiture fatiguée, il découvrit aussi que les pédales de la Delage furent si chauds qu'il dut s'arrêter après 19 tours et passer quelques minutes debout dans un seau d'eau froide avant de continuer.
"Tous les autres pilotes vécurent la sensation d'êtres cuits vivants," nota le Guardian, ajoutant aussi que, lors d'un arrêt effectué auparavant par Benoist, son équipe mit rapidement en place un panneau d'asbestos pour tenter de diminuer la chaleur, et plus tard encore ajoutèrent un panneau métallique.
À ce moment-là, Divo était en tête mais dut rentrer aux puits sur bris de moteur. Il tenta de redémarrer sans succès; Segrave tenta à son tour mais ne réussit pas à faire bouger la Talbot.
Wagner prit les commandes de la course alors que Benoist rentra aux stands avec un moteur en feu, possiblement le résultat des bricolages effectués plus tôt. Tandis que ses mécanos arrosaient les flammes, Benoist céda sa place à un autre français, André Dubonnet.
Benoist dut avoir des doutes. Dubonnet grimpa à bord, portant un complet et un béret. De plus, il n'avait jamais piloté sur ce circuit auparavant. Son manque de préparation lui coûta cher puisqu'il se fit dépasser par Campbell et termina dernier parmi les trois toujours en piste.
La Delage de Sénéchal/Wagner gagna cette course de quatre heures par quatre tours et demi d'avance, à une vitesse moyenne de 114 km/h. Ils gagnèrent £1000 (1150 € / 1600 $ US) pour une course de 462km. Wagner prit sa place dans l'histoire comme gagnant du premier Grand Prix d'Angleterre et du premier Grand Prix des États-Unis. Il y eut un prix de consolation pour la foule anglaise puisque Segrave se vit octroyer la Coupe Stanley pour avoir signé le plus rapide tour de la journée (138.38km/h).
Bugatti irait remporter le championnat avec une victoire lors de la dernière course, leur troisième de la saison, et Brooklands fut l'hôte d'une autre course l'année suivante, mais ce serait la dernière.
En ce qui concerne la course de 1926, elle fut remarquable pour les personnes qui y prirent part. Trois d'entre eux - Campbell, Segrave et George Eyston - briseraient un jour le record de vitesse sur terre; Dubonnet fut également un as aviateur de la Première guerre mondiale et fut membre de l'équipe française de bobsleigh lors des Jeux Olympiques d'hiver de 1924; Benoist travailla comme agent pour les opérations spéciales pendant la Deuxième guerre mondiale avant d'être capturé par les allemands et exécuté au camp de concentration de Buchenwald en 1944; et Frank Halford deviendrait un des pionniers de la propulsion à réaction.
Robert Benoist, au volant d'une Delage, pratique sa navigation des nouvelles chicanes mises en place pour le Grand Prix d'Angleterre inaugural
Getty Images
L'endroit choisi ne fut jamais mis en doute. Le circuit de Brooklands ouvrit à Weybridge en 1907, a peu près une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Londres, et devint immédiatement le premier circuit du pays. Son parcours incliné fut construit pour la vitesse et pouvait accueillir près d'un quart de million de spectateurs. L'événement fut fixé au 7 août 1926, une date insérée dans une saison européenne très active mais garantissant une foule importante puisqu'il s'agissait de la quatrième des cinq courses d'un jeune championnat mondial des constructeurs.
Les européens courraient habituellement sur des routes et furent donc méfiants à l'égard d'un circuit construit spécifiquement pour la course. Le RAC leur fit une concession en acceptant de fabriquer deux chicanes artificielles à l'aide de sacs de sable placés sur la ligne droite. Les prédictions à l'effet que cela ralentirait les voitures jusqu'à une vitesse de 25km/h furent inexactes.
Au début de juillet, le RAC avait reçu 13 inscriptions : huit de la Grande-Bretagne, cinq de la France, le grand absent étant Jules Goux, le pilote français ayant remporté les deux courses précédentes du championnat. La rareté des Bugatti, voiture dominante de la saison, fut une autre légère déception.
24 heures avant le début de la course, quatre des 13 inscrits se sont désistés, incluant la Talbot inscrite par Malcolm Campbell car il décida de rouler avec son second choix, une Bugatti.
Le journal Guardian rapporta des files d'attente se formant à l'entrée dès 8h le matin, six heures avant le départ. Selon le quotidien, il y eut "une foule exceptionnellement grande" et "tous les points d'observation où quiconque pouvait se placer étaient comblés de gens."
Les premiers tours fuent dominés, comme on pouvait s'y attendre, par les Delage et les Talbot, les plus lentes mais bien plus fiables Bugatti derrière. La Talbot de Jules Moriceau fut la première victime lorsque son essieu cassa avant qu'il puisse compléter un tour. En une douzaine de tours, les Delage de Robert Sénéchal et Robert Benoist furent si loin devant qu'il semblait que la vraie course se disputait pour la 3e place.
Segrave, le meilleur espoir britannique, fut plus rapide que ses rivaux mais souffrit d'un pneu éclaté et ensuite de problèmes de carburateur, ce qui l'empêcha de descendre sous la barre des 3000 tours/minute. Le Times rapporta que ses problèmes donnèrent "beaucoup de sensations aux non-initiés puisque son moteur eut des ratés à l'occasion, faisant ainsi une imitation assez proche d'une mitrailleuse, et lors de tels moments des flammes jaillissaient de son tuyau d'échappement."
Un arrêt aux puits fut gâché lorsqu'un écrou fut trouvé coincé dans son pare-brise : perte de temps précieux alors que ses mécanos tentèrent de comprendre d'où il venait. Il retourna en piste en dernière position et fut éventuellement forcé d'abandonner.
Le taux d'abandon des voitures fit en sorte qu'il n'en restait que quatre au début de la dernière heure - Sénéchal, Benoist, Campbell et le français Albert Divo.
Malcolm Campbell et sa Bugatti Type 39A avant la course
Getty Images
Sénéchal échangea alors avec son compatriote Louis Wagner, dont la course se termina après dix tours lorsque le moteur de sa Delage explosa et brûla gravement sa jambe. Il hérita non seulement d'une voiture fatiguée, il découvrit aussi que les pédales de la Delage furent si chauds qu'il dut s'arrêter après 19 tours et passer quelques minutes debout dans un seau d'eau froide avant de continuer.
"Tous les autres pilotes vécurent la sensation d'êtres cuits vivants," nota le Guardian, ajoutant aussi que, lors d'un arrêt effectué auparavant par Benoist, son équipe mit rapidement en place un panneau d'asbestos pour tenter de diminuer la chaleur, et plus tard encore ajoutèrent un panneau métallique.
À ce moment-là, Divo était en tête mais dut rentrer aux puits sur bris de moteur. Il tenta de redémarrer sans succès; Segrave tenta à son tour mais ne réussit pas à faire bouger la Talbot.
Wagner prit les commandes de la course alors que Benoist rentra aux stands avec un moteur en feu, possiblement le résultat des bricolages effectués plus tôt. Tandis que ses mécanos arrosaient les flammes, Benoist céda sa place à un autre français, André Dubonnet.
Benoist dut avoir des doutes. Dubonnet grimpa à bord, portant un complet et un béret. De plus, il n'avait jamais piloté sur ce circuit auparavant. Son manque de préparation lui coûta cher puisqu'il se fit dépasser par Campbell et termina dernier parmi les trois toujours en piste.
La Delage de Sénéchal/Wagner gagna cette course de quatre heures par quatre tours et demi d'avance, à une vitesse moyenne de 114 km/h. Ils gagnèrent £1000 (1150 € / 1600 $ US) pour une course de 462km. Wagner prit sa place dans l'histoire comme gagnant du premier Grand Prix d'Angleterre et du premier Grand Prix des États-Unis. Il y eut un prix de consolation pour la foule anglaise puisque Segrave se vit octroyer la Coupe Stanley pour avoir signé le plus rapide tour de la journée (138.38km/h).
Bugatti irait remporter le championnat avec une victoire lors de la dernière course, leur troisième de la saison, et Brooklands fut l'hôte d'une autre course l'année suivante, mais ce serait la dernière.
En ce qui concerne la course de 1926, elle fut remarquable pour les personnes qui y prirent part. Trois d'entre eux - Campbell, Segrave et George Eyston - briseraient un jour le record de vitesse sur terre; Dubonnet fut également un as aviateur de la Première guerre mondiale et fut membre de l'équipe française de bobsleigh lors des Jeux Olympiques d'hiver de 1924; Benoist travailla comme agent pour les opérations spéciales pendant la Deuxième guerre mondiale avant d'être capturé par les allemands et exécuté au camp de concentration de Buchenwald en 1944; et Frank Halford deviendrait un des pionniers de la propulsion à réaction.