Je sais très bien que la Formule 1 a beaucoup changé depuis mon époque, mais un élément demeure inexcusable : un comportement dangereux. J'étais consterné de voir Michael Schumacher presque rentrer Rubens Barrichello dans le mur lors du Grand Prix de Hongrie. Les photos montrent qu'il était à des centimètres de provoquer un grave accident.
Schumacher a été pénalisé de dix places sur la grille de départ belge, mais pour moi ça ne fait que prouver le manque de courage de la FIA. D'après moi, il aurait dû être banni pour un an, peut-être plus. Si quelqu'un était sorti des stands au même moment, l'accident aurait été majeur. Ce genre de risque est inexcusable.
L'ironie de cette histoire, c'est que toutes ces mesures sécuritaires grandement améliorées ont créé une attitude désinvolte parmi certains pilotes. Schumacher était prêt à pousser Barrichello dans un mur alors qu'ils roulaient à 290 km/h. Je ne peux croire qu'il aurait été prêt à viser Barrichello si on lui avait donné un fusil chargé. Il y a cette présomption que tout sera OK, et la plupart du temps c'est le cas de nos jours, mais nous parlons ici d'un mur de béton et d'une voiture roulant à très grande vitesse.
J'ai connu ce genre de situation lorsque je courais. Par exemple, Nino Farina était très agressif. Il m'a placé dans une situation très compromettante à Bari en 1951, mais j'ai simplement levé le pied et sa manœuvre s'est retournée contre lui. Il a fini par survirer et a perdu plus de temps que moi. Juan Manuel Fangio nous a passés tous les deux ; je me souviens l'avoir vu sourire car la manœuvre de Farina avait été ridicule et ne lui avait rien donné. C'est le lot des tentatives désespérées : elles fonctionnent rarement.
Dans les années 1950, si vous touchiez les roues d'une autre voiture, vous aviez de grandes chances de mourir. A mesure que les voitures sont devenues plus sécuritaires, cette prudence a disparu et c'est ce qui a permis à des pilotes comme Ayrton Senna de prendre de plus grands risques. Je suis certain que la plupart d'entre vous se souviennent du Grand Prix du Japon 1990, quand il a sorti Alain Prost au premier virage. Ce genre de chose aurait été inimaginable 30 ans auparavant, et encore moins acceptable. Depuis, les mesures sécuritaires se sont grandement améliorées et certains en sont venus à accepter les manœuvres dangereuses.
Selon un argument courant, si vous disciplinez les pilotes alors vous découragez les dépassements. Mais je ne considère pas qu'il s'agisse d'une bonne raison pour éviter de les punir comme il se doit. Pour moi, soit vous êtes un pilote honnête ou vous ne l'êtes pas. La différence est évidente pour quelqu'un qui comprend ce sport. De plus, je ne me souviens pas d'avoir vu un pilote malhonnête agir correctement plus tard dans sa carrière.
L'autre problème, c'est que l'argent crée une mentalité de gagner-à-tout-prix. Il n'y a plus de place pour un esprit sportif quand les pilotes reçoivent des millions en salaire et quand la différence entre gagner ou perdre est si grande. Lorsque je pilotais, évidemment le montant d'argent alloué pour la victoire affectait votre choix quant aux courses auxquelles vous vouliez participer, mais ça n'affectait pas la façon dont vous alliez piloter lors de ces courses. Je suis convaincu que certains pilotes veulent toujours donner un bon spectacle, mais l'aspect sportif a disparu depuis longtemps.
Souvenirs de Monza
La prochaine course, le Grand Prix d'Italie à Monza, est l'exemple parfait d'un circuit devenu plus sûr au cours des années. Quand je pense à quel point ce circuit était dangereux, et à quel point il l'est si peu aujourd'hui, je ne suis pas surpris de voir les pilotes prendre plus de risques. Si un pilote quitte la piste en sachant qu'il y a 20 mètres d'asphalte ou de gravier qui l'attendent, il va prendre des risques. S'il y avait un sacré précipice, je vous assure qu'ils ne prendraient pas de risques.
Monza était extrêmement exigeant jadis. L'ancienne Curva Grande était un virage très, très difficile, mais il a été émasculé quand ils ont placé une chicane à l'approche, ce qui l'a complètement ruiné. Dans l'ère moderne, les pilotes ont l'avantage d'avoir des appuis. C'est comme avoir une main qui pèse sur toute la voiture. Souvent, les virages vraiment rapides deviennent une extension des lignes droites.
Au cours des années 1950 et 1960, il fallait aussi négocier des virages en pente, et pour y faire face, il fallait régler la voiture en sacrifiant son comportement sur le reste du circuit. La suspension devait être très rigide; conséquemment, la voiture glissait partout. Des virages comme Curva Grande et Curva di Vialone (maintenant la chicane Ascari) étaient très difficiles.
J'ai piloté une Maserati Eldorado Special là-bas en 1958, lors du Two Worlds Trophy. Alors que je prenais le virage en pente, mes bras se sont soudain croisés. J'ai immédiatement compris que quelque chose allait mal (j'ai appris par la suite que la colonne de direction s'était cassée). Tout ce que je pouvais faire, c'était appuyer sur les freins, fermer les yeux et attendre l'impact.
J'ai frappé trois gros poteaux au sommet du virage en plus de plier la barrière métallique, mais heureusement je suis ensuite parti en tête-à-queue en direction du terrain situé au centre de la piste. Et c'était tout. Je me souviens qu'avant d'ouvrir les yeux, je trouvais qu'il faisait chaud et qu'il y avait énormément de poussière. C'est à ce moment que j'ai réalisé que j'avais survécu avec rien de plus qu'une égratignure.
En y pensant, je réalise à quel point cet accident était affreux. Je ne pouvais rien faire pour éviter l'accident et je le savais. Normalement, vous entrez en mode limitation des dommages et vous vous battez avec la voiture, mais puisque je n'avais plus de direction, enfoncer la pédale de freins était tout ce que je pouvais faire. Ce n'était pas particulièrement rassurant, car j'étais convaincu que j'allais m'envoler au sommet de la pente et que tout allait se terminer là pour moi.
Ce type de danger forçait les pilotes à réfléchir avant de faire des stupidités sur la piste.
Schumacher a été pénalisé de dix places sur la grille de départ belge, mais pour moi ça ne fait que prouver le manque de courage de la FIA. D'après moi, il aurait dû être banni pour un an, peut-être plus. Si quelqu'un était sorti des stands au même moment, l'accident aurait été majeur. Ce genre de risque est inexcusable.
L'ironie de cette histoire, c'est que toutes ces mesures sécuritaires grandement améliorées ont créé une attitude désinvolte parmi certains pilotes. Schumacher était prêt à pousser Barrichello dans un mur alors qu'ils roulaient à 290 km/h. Je ne peux croire qu'il aurait été prêt à viser Barrichello si on lui avait donné un fusil chargé. Il y a cette présomption que tout sera OK, et la plupart du temps c'est le cas de nos jours, mais nous parlons ici d'un mur de béton et d'une voiture roulant à très grande vitesse.
J'ai connu ce genre de situation lorsque je courais. Par exemple, Nino Farina était très agressif. Il m'a placé dans une situation très compromettante à Bari en 1951, mais j'ai simplement levé le pied et sa manœuvre s'est retournée contre lui. Il a fini par survirer et a perdu plus de temps que moi. Juan Manuel Fangio nous a passés tous les deux ; je me souviens l'avoir vu sourire car la manœuvre de Farina avait été ridicule et ne lui avait rien donné. C'est le lot des tentatives désespérées : elles fonctionnent rarement.
Dans les années 1950, si vous touchiez les roues d'une autre voiture, vous aviez de grandes chances de mourir. A mesure que les voitures sont devenues plus sécuritaires, cette prudence a disparu et c'est ce qui a permis à des pilotes comme Ayrton Senna de prendre de plus grands risques. Je suis certain que la plupart d'entre vous se souviennent du Grand Prix du Japon 1990, quand il a sorti Alain Prost au premier virage. Ce genre de chose aurait été inimaginable 30 ans auparavant, et encore moins acceptable. Depuis, les mesures sécuritaires se sont grandement améliorées et certains en sont venus à accepter les manœuvres dangereuses.
Selon un argument courant, si vous disciplinez les pilotes alors vous découragez les dépassements. Mais je ne considère pas qu'il s'agisse d'une bonne raison pour éviter de les punir comme il se doit. Pour moi, soit vous êtes un pilote honnête ou vous ne l'êtes pas. La différence est évidente pour quelqu'un qui comprend ce sport. De plus, je ne me souviens pas d'avoir vu un pilote malhonnête agir correctement plus tard dans sa carrière.
L'autre problème, c'est que l'argent crée une mentalité de gagner-à-tout-prix. Il n'y a plus de place pour un esprit sportif quand les pilotes reçoivent des millions en salaire et quand la différence entre gagner ou perdre est si grande. Lorsque je pilotais, évidemment le montant d'argent alloué pour la victoire affectait votre choix quant aux courses auxquelles vous vouliez participer, mais ça n'affectait pas la façon dont vous alliez piloter lors de ces courses. Je suis convaincu que certains pilotes veulent toujours donner un bon spectacle, mais l'aspect sportif a disparu depuis longtemps.
Souvenirs de Monza
La prochaine course, le Grand Prix d'Italie à Monza, est l'exemple parfait d'un circuit devenu plus sûr au cours des années. Quand je pense à quel point ce circuit était dangereux, et à quel point il l'est si peu aujourd'hui, je ne suis pas surpris de voir les pilotes prendre plus de risques. Si un pilote quitte la piste en sachant qu'il y a 20 mètres d'asphalte ou de gravier qui l'attendent, il va prendre des risques. S'il y avait un sacré précipice, je vous assure qu'ils ne prendraient pas de risques.
Monza était extrêmement exigeant jadis. L'ancienne Curva Grande était un virage très, très difficile, mais il a été émasculé quand ils ont placé une chicane à l'approche, ce qui l'a complètement ruiné. Dans l'ère moderne, les pilotes ont l'avantage d'avoir des appuis. C'est comme avoir une main qui pèse sur toute la voiture. Souvent, les virages vraiment rapides deviennent une extension des lignes droites.
Au cours des années 1950 et 1960, il fallait aussi négocier des virages en pente, et pour y faire face, il fallait régler la voiture en sacrifiant son comportement sur le reste du circuit. La suspension devait être très rigide; conséquemment, la voiture glissait partout. Des virages comme Curva Grande et Curva di Vialone (maintenant la chicane Ascari) étaient très difficiles.
J'ai piloté une Maserati Eldorado Special là-bas en 1958, lors du Two Worlds Trophy. Alors que je prenais le virage en pente, mes bras se sont soudain croisés. J'ai immédiatement compris que quelque chose allait mal (j'ai appris par la suite que la colonne de direction s'était cassée). Tout ce que je pouvais faire, c'était appuyer sur les freins, fermer les yeux et attendre l'impact.
J'ai frappé trois gros poteaux au sommet du virage en plus de plier la barrière métallique, mais heureusement je suis ensuite parti en tête-à-queue en direction du terrain situé au centre de la piste. Et c'était tout. Je me souviens qu'avant d'ouvrir les yeux, je trouvais qu'il faisait chaud et qu'il y avait énormément de poussière. C'est à ce moment que j'ai réalisé que j'avais survécu avec rien de plus qu'une égratignure.
En y pensant, je réalise à quel point cet accident était affreux. Je ne pouvais rien faire pour éviter l'accident et je le savais. Normalement, vous entrez en mode limitation des dommages et vous vous battez avec la voiture, mais puisque je n'avais plus de direction, enfoncer la pédale de freins était tout ce que je pouvais faire. Ce n'était pas particulièrement rassurant, car j'étais convaincu que j'allais m'envoler au sommet de la pente et que tout allait se terminer là pour moi.
Ce type de danger forçait les pilotes à réfléchir avant de faire des stupidités sur la piste.
